Un Marocain raconte comment sa famille contrôlait le trafic du haschich entre le royaume et la France

Culture du cannabis, cartels, premières cargaisons, corruption… Pour Vice France, un Marocain, aujourd’hui travailleur social, raconte comment sa famille contrôlait le trafic du shit entre le royaume et la France.

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« C’est ma grand-mère maternelle qui a commencé à importer du shit en France », raconte Salim*,  dont la famille, dit-il, contrôlait le trafic de shit entre le Maroc et la France. Ce rifain originaire de Ketama, aujourd’hui travailleur social, a vécu au quotidien le stress d’une famille toujours sur le « qui-vive », arrivée en France en 1966, à Sens dans l’Yonne, suite à quelques petits problèmes avec la concurrence.

Pour Vice France, le quadragénaire revient sur la genèse du business familial dans l’Hexagone et explique pourquoi il a fait un autre choix de vie.

Quand la grand-mère de Salim s’est mariée, la famille de son grand père était déjà dans la culture et le trafic de cannabis. « Il était chargé de toute la culture et des livraisons sur un rayon allant de Meknès à Fès. Dans les années 1960, c’était un des trois boss de ce territoire », reconnait-il. Et de rappeler : « Le transit se faisait à dos d’ânes ou de chevaux sur plusieurs centaines de kilomètres, c’était vraiment à l’ancienne ».

Si la région du Rif est considérée comme  « l’épicentre de la culture de cannabis et de la production de haschich au Maroc », Salim  affirme qu’il n’y avait pas beaucoup de familles dans ce business « pyramidal », où ceux qui font de la récolte sont des « esclaves « . « Il y a peut-être six à huit familles en tout », reconnait-il.

Dans les années 1960, la production prend de l’ampleur, ce qui permettra la constitution de clans mafieux, dirigés par une petite dizaine de familles. « Ils se marient entre eux, tout le monde se connaît. Ces familles monopolisent le pouvoir, la logistique, l’argent, les armes et elles n’ont peur de rien », rapporte le quadragénaire.

« Les femmes ne s’occupent pas de ça »

En 1963, son grand-père se fait flinguer pour une histoire de territoire. Sa grand-mère, alors  veuve, se trouve dès lors dans l’obligation de travailler. « Elle a trouvé un emploi de femme de ménage chez un couple de pharmaciens français à Meknès. C’est grâce à eux qu’elle est arrivée en France, à Sens, trois ans plus tard. Ils se sont débrouillés au niveau administratif pour la faire venir », raconte Salim.

Cinq ans plus tard, le frère à sa grand-mère, sa mère et sa tante l’ont rejointe. Une période durant laquelle se crée un pont entre les membres de la famille restés au Maroc et ceux venus s’installer dans l’Hexagone.

« C’est elle qui, au début des années 1970, a mis son nouveau mari, lui aussi originaire du Rif, en lien avec ma famille paternelle restée au Maroc », se souvient Salim. « Il a effectué les premiers voyages car les femmes ne s’occupent pas de ça. Ma grand-mère était juste là pour superviser les choses ». Mais c’est son grand-oncle qui restera pendant des années la pierre angulaire du trafic. Les débuts étaient « hasardeux », reconnait le quadragénaire. Il en veut pour preuve les cinq à dix kilos transportés par camion à chaque voyage « vraiment à l’arrache » avant que les allers-retours s’enchaînent et les cargaisons augmentent progressivement.

Rentrer au Maroc, un prétexte

« Quand j’étais jeune, je ne m’en rendais pas trop compte, je ne l’ai appris que plus tard, mais tous les voyages au Maroc étaient prétexte à ramener du shit – même les voyages familiaux »,  se souvient Salim, dont la famille ramenait de l’huile d’olive dans des tonneaux, avec un double fond rempli de shit.

« J’avais aussi un autre oncle qui importait des canapés marocains dans un vieux camion BMW. Tous les montants creux des meubles étaient chargés de shit. Tout ce qui pouvait servir de cachette était utilisé. Je pense qu’on pouvait ramener une tonne sans problème par voyage », poursuit celui dont la famille deviendra rapidement influente dans la commune française.

Au début des années 1980, l’arrestation du nouveau mari de la grand-mère avec une grosse quantité chamboule le business familial. Pour autant,  celle-ci divorce et continue à superviser les voyages. « A ce moment-là, le business avait pris de l’ampleur et mon père et mon oncle n’y étaient pas étrangers. C’est dans ces années-là qu’on s’est installé à Troyes et que mon père y a développé ses affaires avant de se faire arrêter, incarcérer, puis expulser vers l’Algérie », regrette l’actuel travailleur social. Son oncle restera cependant à Sens pour maintenir ce qui était déjà en place.

Selon Salim, la corruption touchait tous les niveaux de la hiérarchie policière. « J’ai vu des îlotiers passer à la maison. Tous n’en étaient pas mais tu en avais toujours un ou deux qui parvenaient à convaincre, avec quelques billets, les autres de ne rien dire. Il y a déjà eu des appels qui prévenaient mon frère de ce qui allait se passer », confie-t-il, sans avancer des précisions ni révéler des noms. Et de déplorer : « Je ne vois pas comment on peut faire du business sans avoir de près ou de loin des accointances avec de l’argent au milieu de tout ça ».

« J’étais dégoûté »

Aîné de la fratrie, Salim alors au baccalauréat devait dès lors reprendre les affaires. Désigné par son oncle, il lui explique qu’il préférait continuer ses études. « J’étais d’ailleurs le seul de ma famille, voire du quartier, à être au lycée », relève-t-il, non sans fierté.

C’est à son frère cadet qu’incombe la gestion du business. Celui-là même qui poussera les choses encore plus loin. « Il a été le premier à faire du trafic de cocaïne et il a été un peu rayé de la famille à cause de ça. Le shit a été sa porte d’entrée, puis il a fait dans la coke et les armes. Il a commencé assez jeune, n’avait pas peur et a su s’imposer à Troyes par la violence et l’intimidation », témoigne l’aîné. Il écopera de quatre ans de prison, pour trafic de coke et d’armes. « Il y est encore en ce moment », précise-t-il.

« J’étais dégoûté de cette vie-là. J’avais assisté à des perquisitions, je voyais que les membres de ma famille ne dormaient pas, étaient toujours à l’affût, préoccupés par le risque. Il fallait faire attention à qui on parlait, même au sein de la communauté marocaine », confie Salim.

Il retient toujours un événement en particulier : « Ce matin-là, j’étais sur le balcon, et là je vois trois bagnoles de keufs qui arrivent avec des chiens. Je préviens ma mère et mon beau-père qui commencent à paniquer ».

Heureusement pour la famille, les policiers ne sont pas descendus dans les caves. « Il y avait un kilo à la maison et mon beau-père a fait en sorte de se faire serrer. Il a mis le kilo dans son froc, il est sorti, les flics lui sont tombés dessus et ça a marché. Normalement, ils auraient dû faire une perquisition directement mais on a profité des quelques heures avant qu’ils reviennent pour appeler de l’aide et bouger la cargaison », se souvient le rescapé.

Un moment fondateur pour le jeune Salim. « Je me suis dit que ce n’était pas ma vie. Matériellement on était bien, mais à vivre c’était hyper anxiogène », admet-il aujourd’hui. Et d’analyser : « Malgré un parcours différent, je comprends ceux de ma famille qui font ça, car c’est inscrit en nous, mais d’un autre côté ce n’est pas top par rapport aux enfants… ». Sa famille restée au Maroc, avoue-t-il, a arrêté d’exporter vers la France. « On est sur des échelles plus petites qui permettent de vivre confortablement mais sans ostentation », conclut-il.

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